dimanche 4 novembre 2018

bruit de fond




Bzzz. Bzzz.
                       prendre l’abeille par les cornes
            des aiguilles de pin qui se consument
            comme un écran de fumée
                                                          se disperser,
                                               encore

                                               solliciter
                       la porte à
                       l’émiettement
            éparpillé sur le rebord de la fenêtre
            du grain à moudre

                                               rien : en clair

OUBLIER
            LE BORD DE LA ROUTE
            suicidaire. Au bout
                                               abandonne
prendre rôle
                                               du camouflage
vertical           jusqu’au nez
bruit de fond

                                               toujours
                                               rien…
            justement
            là

Clin d'oeil aux [Poèmnibus] de Christine Jeanney et aux Poèmes Express de Lucien Suel 

lundi 30 juillet 2018

fragments autoroutiers /4


Photo Philippe Marc, juillet 2018

La société des autoroutes fait dans la poésie. Quelquefois moi aussi.

GRÈVES SNCF
PENSEZ
COVOITURAGE

Au train où va la vague
Rêver
Sur la grève

MAINS 
SUR LE VOLANT
PAS SUR L’ÉCRAN

Quoi ?
Non, rien !
Chut !

VÉHICULE ARRÊTÉ
après SORTIE 37
PUGET

Ne pas s’arrêter
Continuer son petit véhicule
De chemin

PROCHAINE AIRE
FAITES LA PAUSE
ANIMATION

À l’ère prochaine
Se poser avant de s’animer
Penser à la prochaine

LES SUPER-HÉROS
S’ENDORMENT AUSSI
SUR LA ROUTE

Une super-héroïne
vole au secours
d’un endormi.


dimanche 3 juin 2018

parabole



Dehors, un bouquet de fleurs prend la pluie. Ce sont des fleurs artificielles parmi lesquelles on reconnaît des roses blanches – toi qui les aimes tant– des roses rose pâle, des œillets et des marguerites – sortes de– et d’autres inconnues – ersatz de fleurs. Aucune ne sent quoi que ce soit et toutes ont l’air en plastique – plastique impeccable. On me les a offertes le jour de la fête de mère mais ce n’étaient pas des enfants miens. Juste des élèves comédiens qui remerciaient leur prof à la fin du spectacle. Les enfants n’y sont pour rien. Ni les fleurs d’ailleurs. Au bout d’une semaine, pas la moindre velléité de faner ou de commencer à finir. On dirait des fleurs en plastique. Alors, j’ai décidé de leur apprendre la nature. Je les ai sorties dans ma friche de jardin, sous le jasmin. Lui, c’est le contraire. Orgie de fleurs graciles et légères, parfum entêtant, sensualité offerte en abondance. Presque vulgaire le jasmin, mais si vivant. J’observe les fleurs de serre. Impassibles sous la pluie des petites fleurs blanches. Alors on me dira que l’anthropomorphisme a ses limites, claro que si, répliquerai-je, mais n’empêche… Qu’est-ce qui les empêche de devenir de vraies fleurs ? Qu’est-ce qui fait la beauté d’une fleur, d’une femme, d’une écriture ? Et, miracle, le temps d’écrire toutes ces niaiseries, les vilaines fleurs, les sans-âme et sans-parfum, baissent la tête vers la terre… deviennent éphémères, les roses surtout apprennent le secret de la beauté naturelle.


mercredi 2 mai 2018

pour une catharsis de la nostalgie | 4

Ce texte a été initialement publié par Jan Doets sur le site des Cosaques des frontières.



Jacques Higelin aura été le dernier artiste de ma jeunesse à tomber du ciel des milliers de fois et se relever indemne et finalement ne pas se relever. Il aura été le chanteur que j’aurai vu le plus souvent sur scène. Il sera même venu se produire à Venelles – du temps où la ville avait un maire de gauche et qui organisait l’été un festival appelé « Les Acousmies » - même s’il a piqué une colère contre le public un peu mou ce soir-là et que ce n’aura pas été son meilleur concert. Ce 3 juillet 2004, mes amis l’auront boudé mais je n’aurai pas boudé mon plaisir. 

            Vingt-cinq ans auparavant… le 31/12/ 1979,  une Autobianchi rouge roule à toute allure sur la N1 avec trois jeunes gens de 20 ans pour assister à un concert au pavillon Baltard à Nogent, pour la sortie de l’album Champagne. Au volant, je chante à tue-tête avec Eric et Alain La nuit promet d’être belle…La nuit en effet aura été belle, et Diane Dufresne sera montée sur scène faire une courte apparitionrejoindre chanter avec Lucifer…

Failli oublier le futur antérieur avec ce retour au présent. Oubliée la nostalgie ou au contraire réactivée ? Le futur antérieur si propice aux épitaphes « Il aura vécu et nous aura fait vibrer » est aussi, en corrélation avec le futur, un formidable élan en avant. Dès qu’il aura fini de mourir, il viendra chanter  sa malice à nos oreilles : Des pianos à queue dans la boite aux lettres/ Des pots de yaourt dans la vinaigrette/ Et des oubliettes au fond de tes yeux…

            Je me rappelle aussi le concert annulé d’un festival - avorté le 2ejour - à Vierzon - pour d’obscures raisons financières – et d’Higelin à la terrasse d’un café jouant et chantant pour son public resté malgré tout. Je l’aurai vu avec Brigitte Fontaine dans le sud (Arles ?) et tant de fois que je ne peux les compter. Ses concerts auront duré plus de trois heures pour les plus mémorables (Paris-New-york- New-york-Paris  d’une trentaine de minutes à lui tout seul sur la scène de Baltard)  jusqu’à plus de voix mais encore tant d’énergie à partager. Jamais Jacques Higelin n’aura donné en scène  Le Minimum , chanson partagée avec mon premier amour.

            Ai-je assez bu le doux alcool de la nostalgie ? Suis-je assez ivre ? Suis-je purgée de mes passions ? Non pas encore, mais attention, je glisse… Arthur H. aura écrit un très beau texte – sans pathos - sur le dernier tour de piste d’Higelinau cirque d’hiver, avec les siens. Je pense à Brigitte Fontaine brisée par l’émotion. Je veux penser à Izia dansant et chantant pour son père et Arthur chantant Destin du voyageur et au rêve de Ken la nuit de la mort de son père : au rire de Jacques s’enfuyant dans les ruelles. Et les derniers mots à Jacques Higelin :

Parce que

La jeunesse a besoin
D’une épaule de confiance
D’un regard de respect
D’une parole d’espoir
Et d’une main tendue

Parce que

Tout ce qui est
Qui fut
Ou qui sera

Reste[1]



[1]Jacques Higelin avec Valérie Lehoux, Je vis pas ma vie, je la rêve, fayard, 2015.

lundi 30 avril 2018

pour une catharsis de la nostalgie | 3

Photo Philippe Marc


Dans la première décennie du premier siècle du deuxième millénaire, Charles aura été la dernière personne que j’ai connue à dire encore « Fichtre ! » ou « Mazette » ou « Bigre ! » sans susciter la moquerie. Je l’ai côtoyé une année au collège des Garrigues, à Rognes où j’effectuais un remplacement tandis qu’il enseignait encore pour quelques mois avant son départ à la retraite. Dans tout récit, il y a un homme aux loups. Le voici, c’est Charles dont j’ai oublié le nom de famille. Il en élevait deux chez lui, plus ou moins clandestinement. Il m’avait montré des photos. Ce n’était pas sa seule originalité puisqu’il fumait la pipe – dehors, à l’extérieur de la salle des profs, dans la pinède, la dernière année où ça a été toléré – l’année suivante les fumeurs ont été priés d’assouvir leur vice hors de l’enceinte du collège, à l’arrêt de bus (des élèves). Charles portait parfois un pantalon de cuir noir et des gilets sans manches d’un autre âge, mélange de rocker et de dandy sauvage. Professeur de lettres, sévère et rigoureux, il enseignait encore à l’ancienne – j’ai récupéré une partie de ses cours qu’il avait laissé à disposition de qui voulait, notamment sa séquence sur Cyrano de Bergeracdans laquelle il consacrait deux ou trois séances à la préciosité et à la « Carte du tendre » et il impressionnait nombre de ses élèves. Il avait hâte de prendre sa retraite. L’année suivante, j’ai fait un autre remplacement dans ce collège. Charles venait de mourir, quelques mois à peine après son départ.

            Je ne suis plus du tout certaine qu’il ait dit « Fichtre ! » ou « Mazette » mais une part de fiction n’est pas interdite dans ces pastilles que je sache. Et puis entre « Fichtre ! » et « du coup », sans parler du « Graal » pour la plus insignifiante des trouvailles, franchement... 
     Pour revenir à l’homme aux loups, ce qui me préoccupe, c’est que personne ne se rappelle qu’il a eu des loups. Or, je le certifie formellement, l’homme aux loups a existé. J’ai vu les photos de ses loups. Regrettant de ne l’avoir pas mieux connu, j’ai enquêté auprès de mes anciennes collègues pour rafraîchir ma mémoire mais aucune d’entre elles ne se rappelle son nom de famille. L’une se souvient de sa voiture décapotable et du canif dans la poche supérieure de sa chemise – Ah, bon ? Tu es sûre ?, l’autre de ses Santiags. Une autre encore s’est souvenue de son nom de famille, Turfait. Un ancien élève qui l’a eu brièvement avant que je ne le remplace – sur ce point il doit faire erreur – m’a dit qu’il ne se rappelait que les souvenirs de voyage de Charles au Kenya, dont il leur parlait en cours. Grâce au nom de famille, en cherchant ses traces sur Internet, j’ai retrouvé des extraits d’un mémoire de maîtrise de lettres modernes sur le western. 

            Un autre Charles dont le nom m’échappe aura été le dernier homme à appeler mon fils « tonton Léo ». Charles avait alors la cinquantaine et un nez rouge tandis que Léo, du haut de ses deux ans avec une centaine de mots à son vocabulaire, commençait à faire des poèmes de deux mots. La crèche parentale où il allait avait eu la belle idée de demander à Charles d’initier les deux ans à l’art du clown. Charles leur demandait de se mettre de dos pour revêtir le nez – jamais devant le public. Léo avait un beau clown, de l’avis même de Charles. Charles avait une autre particularité : il vivait avec sa famille dans une grotte, au Foussa à Rognes. On peut donc dire qu’il était clown troglodyte. Sa maison prolongeait la grotte salon, toujours fraîche même en été. Je ne l’ai visitée qu’une seule fois.

            Je ne sais plus exactement pourquoi nos liens se sont distendus jusqu’à disparaître. Pourtant j’ai participé à son atelier théâtre adultes quelques années et je l’ai même assisté lors d’un stage dans le Nord. L’une des dernières fois où je l’ai vu, il a blessé mon amour-propre ; je l’avais invité au spectacle de danse de fin d’année de mes élèves « La vie rêvée des anges » et j’ai eu le tort de lui demander si le spectacle lui avait plu… Sa réponse avait à voir avec le vent… Il avait raison. Mais sur le coup, j’ai été vexée.
     À ma connaissance, les deux Charles, bien que très proches géographiquement et à peu près du même âge, ne se connaissaient pas. J’espère que le dernier est encore vivant. Je crois bien que j’en ai fini avec les Charles sinon avec la nostalgie. Avec l’évocation de la petite enfance de mon fils, j’ai transgressé mes propres consignes, n’écrire que les faits, ne pas me laisser aller à l’émotion… Mais c’est inévitable. J’ai retrouvé le nom de famille de Charles : Mony et sur le net des images de graffiti de sa grotte sur le site des « Amis du Patrimoine de Rognes » c’est tout. 


vendredi 27 avril 2018

pour une catharsis de la nostalgie | 2



Vers treize-quatorze ans, au C.E.S. de Beaumont sur Oise, la conseillère d’orientation –ai-je jamais su son nom ?-  aura été la dernière personne à me conseiller de faire une seconde C plutôt que A parce que mes résultats en maths le permettaient. Il me semble qu’au cours de cette année de troisième je voulais êtrejournaliste – je le formulais ainsi – parce que ce métier semblait réunir le voyage et l’écriture. On ne dit plus C.E.S. mais collège, conseillère d’orientation mais Co-psy, il n’y a plus de seconde que générale et la première C est devenue Spour « scientifique », la section A est devenue Lpour « littéraire » mais c’est à peu près tout ce qui a changé – la section S est toujours « la voie royale » à tout. Je me rappelle le choc d’Antigoned’Anouilh avec Mme Dameron : ainsi, il existait une héroïne qui voulait dire non et qui le disait. Cette année-là, je voulais dire non à la seconde C et j’ai dit oui. Je fais toujours Antigoneavec mes troisièmes. Parfois, je suis tentée par d’autres textes – Assoiffés de Wajdi Mouawad par exemple – mais je reviens toujours vers elle, non par confort mais parce qu’il me semble que les élèves doivent sortir du collège avec cette lecture, au moins. Avec plus ou moins de bonheur. Je découvre vraiment mes élèves de 3eavec cette séquence, menée différemment d’une année sur l’autre. Cette année, ça marche bien, j’ai plusieurs Antigone dans la classe qui sauront dire non au moment voulu - mais qui le veut ? 
Je n’en veux pas à la conseillère d’orientation si j’ai maltourné, après. Les oiseaux n’ont pas besoin de conseillère pour s’orienter. 

     Je m’étais promis avec ces pastilles de ne pas trop accumuler les souvenirs liés aux profs. Mais la conseillère d’orientation à l’époque n’avait pas le statut de prof me semble-t-il - petite pirouette qui n’abuse personne. Je ne peux m’empêcher de me retourner vers cette période. Sans nostalgie ni aigreur. Brève uchronie : Je dis non à la conseillère d’orientation et je fais comme prévu une 2nde A5 qui me permet d’apprendre une troisième langue vivante. Je deviens reporter de guerre et mon audace me réussit jusqu’à ce que la témérité prenne le dessus. Je meurs dans la région du Rojava, au nord de la Syrie, en même temps que trois combattantes kurdes de l’YPG (Unités de Protection du Peuple). En voyant ma photo (front buté et sourcils froncés – où ont-ils dégoté cette image ?) et l’annonce de ma mort sur les réseaux sociaux, la conseillère d’orientation se dit que je n’ai pas changé et qu’elle me reconnaît bien là.  Elle porte un pull grisaille. 

            Anna Schigulla aura été la dernière personne à s’appartenir. Petite fille – quel âge a-t-elle exactement ?, elle s’est perdue dans une rue de Munich. Un passant lui demande à qui elle appartient et la petite fille a cette réponse simple, lumineuse comme une évidence : « à moi ! ». Élevée dans la religion catholique, elle perd la foi à travers la conscience critique. Très malheureuse, elle perd le sommeil, devient insomniaque. Elle découvre que le soleil est un dieu qu’elle peut encore adorer. Ses cheveux gris lumière quand elle raconte à la radio. 

Quel que soit l’espace
où le rêve passe
il faut à la grâce
la liberté…

chante-t-elle dans le documentaire « Hanna Schygulla, quel que soit le songe »

            Parcourant les notices biographiques d’Hanna Schygulla, je me demande si j’ai rêvé tout ça. Pas le temps de prendre des notes en voiture, la radio allumée. Peur d’oublier, je répète en boucle trois ou quatre mots pour les noter quand la voiture ne roulera plus : « appartiens » « à moi » « soleil » mais je n’écoute plus la suite. Plus tard, aujourd’hui peut-être, réécoutant l’entretien de « La Grande Table » du 19/02/18, je retrouve l’anecdote – je n’ai pas rêvé – qui répond à la question de la journaliste « En quoi avez-vous toujours cru ou cessé de croire ? » ; « On m’a raconté quand j’avais cinq ans… dans la rue, pas très loin de chez moi… À qui appartiens-tu ? – À moi ! … Je suis le centre… un petit pois … mais le centre de tout un univers en moi » Après, la perte de la religion, du sommeil, «  et après, j’ai trouvé un nouveau dieu païen, le soleil… tu commences à fondre, à t’effacer dans une sorte de chaleur… les limites n’existent plus ». Hanna Schygulla n’éprouve aucune nostalgie pour les années 70. Plus que l’actrice, la muse/égérie de, c’est la femme et l’artiste d’aujourd’hui que je trouve merveilleuse– me suis-je jamais appliqué à écrire le plus neutre, le plus sèchement possible ? Hanna dit nous « enfants des coupables » avons bu notre « lait noir » et de citer Paul Celan. Je le répète, sans italiques et sans guillemets, Hannah Schygulla est merveilleuse. 


mercredi 25 avril 2018

Pour une catharsis de la nostalgie | 1

[Ce texte a d'abord été publié sur le site de mon grand ami du Nord, Jan Doets, Les Cosaques des frontières...]




Geneviève Dalame aura été la dernière personne que j’ai connue à habiter dans une chambre d’hôtel. Il me semble qu’au cours de ces années 1963, 1964, le vieux monde retenait une dernière fois son souffle avant de s’écrouler, comme toutes ces maisons et tous ces immeubles des faubourgs et de la périphérie que l’on s’apprêtait à détruire.

            Patrick Modiano, Souvenirs dormants, Gallimard, 2017, p. 22.

            
            Il faudrait aussi réfléchir à un moment donnéet une bonne fois pour toutesà mon malaise vis-à-vis de la nostalgie. Je m’en méfie comme la pestecar non seulement elle suscite une tristesse un peu dégoulinante mais elle convoque aussi des clichés ou des formules stéréotypées – ne serait-ce qu’une bonne fois pour toutes. Et puis il y a Modiano. Claude me dit qu’il n’y a jamais de nostalgie chez lui. Ça me frappe, car j’aurai plutôt tendance à croire le contraire mais n’étant pas une grande lectrice de Modiano, je ne dis rien. Et puis il y a cet atelier d’écriture « Chroniques chromatiques » qui continue après la fin de l’atelier. Sur l’écran, s’inscrivent des rencontres associées à une pratique ou habitude ou expression dorénavant obsolète et qui font dire que cette personne aura été la dernière personne que j’ai connue à…ces vignettes mémorielles se teintent parfois d’une couleur, pas forcément sépia ou jaunie par le passage du temps.  Ce serait ça la nostalgie, une image du présent jaunie par le temps ? La nostalgie dans les livres m’ennuie et les disqualifie aussitôt. Dès que nostalgieapparaît, s’y vautrersurgit au galop. Ces mots tout débraillés, une fois lâchés, désamorcent-ils la mièvrerie ? Pourquoi ces italiques comme des gants pour se protéger de quoi ? Alors la nostalgie une bonne fois pour toutes je n’en ai pas fini. Ces vignettes agiront peut-être comme une catharsis de la nostalgie (puisqu’il apparaît que je veuille m’en débarrasser) mais n’en suis pas certaine. Essayons au moins. 

1.

            Vers cinq six ans, à l’école élémentaire de Beaumont sur Oise, j’ai rencontré ma maîtresse de Cours Préparatoire. Mme Boudeville aura été la dernière personne que j’ai connue à inscrire en rouge dans la marge de mes cahiers d’écriture « Mal ! » « Sale ! ». Je crois que c’est la dernière année où l’on apprenait à écrire avec un porte-plume et une plume sergent-major trempée dans l’encre de l’encrier du pupitre. Tachant de bien faire mais plutôt tâchant… la bouche ouverte, concentrée sur les pleins et les déliés – le crissement de la plume sur le papier – des jambages de maman, j’appuie bien trop fort sur la plume qui s’écarte sur un gros pâté… la bouche ouverte de la terrible Mme Boudeville consternée devant tant de maladresse. Maman convoquée sur ses jambes, sommée de me faire passer des tests au nouveau centre médico-psychologique. Interrogée sur ces faits, elle me dit que j’invente, que je n’ai passé aucun test psychologique ou d’aptitudes cognitives. 

Image nostalgique par excellence. Parcourant les cahiers Lutèce de l’année 1965-1966, je m’aperçois qu’il manque ceux des premiers mois. Le mardi 22 février, « des billes, trois quilles, une grille, ille », les lettres bavent, l’encre déborde, s’exile des lettres que j’ai tracées. À la dictée – « le gamin impoli sera puni la fille du roi dansera le quadrille sous la charmille les lapins gambadent les quilles tombent » - trois erreurs mais l’écriture des mots recopiés au crayon à papier est plus nette. Je suis meilleure en calcul : « Vu » a écrit Mme Boudeville. Pour être parfaitement honnête, il y a de moins en moins de « mal » et de plus en plus de « b » ou « tb »  de mars jusqu’à juin 1966. Je sais que si je commence avec les maîtresses/profs je n’en ai pas fini avec la nostalgie. Mais il y en aura d’autres.

            Hier – nostalgie ? – en rentrant du collège, j’ai allumé la radio dans la voiture. Obnubilée par les bulletins à remplir, les poésies engagées des 3eà corriger, tout ce qu’il restait à faire ce weekend avant de ne pouvoir rien faire, bref, je n’écoutais pas vraiment « Poésie et ainsi de suite » que j’aime bien pourtant. Et puis j’ai entendu ce léger accent anglais dans cette voix parlant des nombres comme des couleurs, des textures ou des mouvements. Puis « Pi » de Kate Bush et Manou Farine a dit : « Cela pourrait être vous dont la chanson parle, de cet homme fasciné par le nombre Pi, Daniel Tammet. » Il a répondu que c’était de lui dont parlait cette chanson. Lui qui a récité à Oxford, en 2005,  pendant plus de cinq heures les 22 514 premières décimales de ce poème épique : Pi. Daniel Tammet aura été la dernière personne à voir dans le nombre 89« un bleu sombre comme un ciel de tempête » d’où tombe la neige. 11est pour lui d’une grande beauté. 979, « la vue de sa fenêtre ».

Pi

Sweet and gentle sensitive man
With an obsessive nature and deep fascination
For numbers
And a complete infatuation with the calculation
Of PI
Oh he love, he love, he love
He does love his numbers
And they run, they run, they run him
In a great big circle
In a circle of infinity
3.1415926535 897932
3846 264 338 3279
Oh he love, he love, he love
He does love his numbers
And they run, they run, they run him
In a great big circle
In a circle of infinity
But he must, he must, he must
Put a number to it
50288419 716939937510
582319749 44 59230781
6406286208 821 4808651 32
Oh he love, he love, he love
He does love his numbers
And they run, they run, they run him
In a great big circle
In a circle of infinity
Paroliers : Kate Bush
Paroles de Pi © Sony/ATV Music Publishing LLC

samedi 14 avril 2018

avant le beau temps

image de reporterre.net



7h49 : ouvrant la fenêtre de la classe, on prend une photo de l’oiseau chantant sur l’arbre. La pluie a cessé.

7h51 : plus au nord et plus à l’ouest, des oiseaux chantent aussi.

8h10 : Lisa oublie un vers de la troisième stance du Cid,reprend du début, achoppe sur L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour, pleure de rage. Lou l’accompagne dans le couloir. 

8h30 : de la fumée dans la forêt de Rohanne fait pleurer les yeux : pas de fumée sans grenades. Pluie assourdissante. 

8h55 : sur le chemin de Suez, vers la Wardine, pour contourner la barricade des Lascars, un blindé s’est embourbé. 

midi : c’est l’accalmie.

13h59 : Noémie pleure : elle a cassé le miroir de son poudrier… un vendredi 13, Madame !

14h et des poussières : correction d’un exercice avec les 5e4 sur l’autrele barbarel’autochtonel’indigène,l’hommele cannibalele sauvage. Deux colonnes au tableau pour classer les termes neutres ou péjoratifs. On inscrit l’étymologie de sauvage : du latin médiéval silvaticus, de silva« forêt ».

Plus tard, dans la forêt ou le bocage, des hommes et des femmes libres pansent leurs plaies. Ils ont besoin de chaussettes sèches.

Ceci n’est pas un poème
on ne devrait pas écrire avec la saleté d’une sale semaine
on devrait d’abord se nettoyer, prendre un bain de soleil et puis dormir
ça n’en ferait pas un texte propre pour autant

on aimerait bien être là-bas, à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes où  quelque chose d’essentiel se joue
on comprend pas l’objectifqui, paraît-il, est atteint à ce jour : 29 lieux de vie vraie déconstruitset ses occupantsexpulsés sur les 94 ou 96 !
on ferait mieux d’aller les soutenir plutôt que de faire des anagrammes :

Dans merde désolante
Dolente et désarmée
Lasse des démons ardents
Danse dédale monstre

Alerte mondes dedans
Élans ardents démodés

on ferait mieux de se taire et de lire reporterre.net

Texte de Christine Zottele, inspiré d’un article du 13/04/18 paru sur reporterre.net, « Zad de Notre-Dame-des-Landes : l’accalmie ».


dimanche 11 mars 2018

chroniques chromatiques | 2




Vers cinquante-neuf ans, à Venelles, en passant le rond-point qui donne à gauche sur Intermarché et à droite vers Picard, j’ai rencontré Pégase. Pégase aura été la dernière créature à se matérialiser hors de mes rêves nocturnes. À deux-trois mètres au-dessus du sol, le cheval est apparu, ses grandes ailes blanches battant lentement sur le ciel gris foncé de cette journée à la météo incertaine. Il volait vers moi mais j. J’ai continué à rouler un moment avant de rebrousser chemin pour rassurer mes yeux. Au rond-point, j’ai tourné à droite et me suis arrêtée. Sous le cheval blanc, il y avait un homme qui actionnait les ailes du cheval avec ses mains. Quand j’ai voulu le prendre en photo, il a rebroussé chemin et la photo ne le montre plus que de dos. Il est ensuite retourné à l’atelier des décors du festival lyrique d’Aix-en-Provence. L’après-midi, j’y suis retournée espérant le revoir mais cette fois-ci, c’était le fantôme blanc d’une chèvre ou d’une biche qui galopait au ralenti au dessus-du sol. Une jeune femme dessous actionnait ses pattes mais m’apercevant elle est rentrée derechef. Pas d’image. 

Je ne sais plus vers quel âge j’ai  rencontré Nénette mais j’étais petite. Nénette aura été la dernière personne à se prénommer Albertine, excepté les Albertine de papier - la prisonnière de la Recherche de Proust et la libre Albertine Sarrazin, un temps prisonnière (lire son superbe Journal de 1959).  Pour revenir à Nénette, je n’ai su très tard qu’elle se prénommait Albertine. Elle avait la peau très brune au point que l’on aurait pu la prendre pour une métisse – même que née (à Ronquerolles) de parents plus blancs que blancs cela avait fait jaser à l’époque, aux dires de ma mère interrogée. Grande amie de ma grand-mère Suzanne qu’elle avait connue à l’atelier de couture où elles avaient fait leur apprentissage, elle en était l’antithèse absolue. Veuve assez jeune d’un premier mari, elle portait des robes colorées, des bijoux en or et fumait cigarette sur cigarette, avait déjà usés deux maris avant de rencontrer Pierrot, le dernier compagnon de sa vie – le seul que j’ai connu – et vivait en Italie à Bordighera. À chacune de ses visites, ma grand-mère se transformait ; toutes deux partaient en fous-rires d’adolescentes, ce qui me les rendait très sympathiques et parait Nénette d’une aura de joie et de fête.

En classe de quatrième, vers douze-treize ans, nous avons eu la chance d’avoir un nouveau professeur de sport (on ne disait pas encore EPS), Elisabeth Noël. Elle aura été la dernière prof de collège à exiger de ses élèves qu’on l’appelle Babette et qu’on la tutoie. Grâce à elle, j’ai appris que la danse pouvait se pratiquer sans chaussons et sur de la musique rock. Ça nous changeait des profs de maths ou de sciences naturelles (on ne disait pas encore SVT) que l’on chargeait de nous faire remuer dans la cour de récréation en plus de leurs cours (me souviens que l’une d’entre elle nous faisait placer les mains sur les épaules et décrire des cercles avec les coudes pour avoir une belle poitrine plus tard, mesdemoiselles – pendant que les garçons faisaient autre chose, mais où étaient-ils ?). Oui, je crois qu’elle a été la première vraie prof d’EPS. Elle dansait avec nous en académique violet – j’ai voulu avoir le même très vite – et ma passion pour la danse a démarré avec elle (davantage que les cours de danse classique pris jusqu’à lors). Elle a suscité un engouement parmi les filles au point que nous avons formé très vite un groupe chorégraphique.




jeudi 8 mars 2018

chroniques chromatiques

Fromanger, Peinture-monde, 2015


Vers dix ans, j’ai rencontré le Bourreau de Béthune. Le Bourreau de Béthune aura été la dernière personne à porter une cagoule et une cape rouge vif et à lutter contre Chéri-Bibi (tenue de bagnard) ou l’Ange Blanc. À l’époque je n’avais pas encore lu Dumas et j’ignorais donc que Milady avait été exécutée par le bourreau de Béthune. Je ne savais pas  non plus que dans l’histoire du catch il y aurait deux bourreaux de Béthune. On peut trouver encore de vieilles affiches jaunies sponsorisées par MARTINI (en lettres blanches sur étiquette noire sur cercle rouge) où il est représenté (photo noir et blanc) en pieds ou en portrait bras croisés, l’air méchant. J’ai visionné une vidéo sur Youtube, où il combat contre Leduc – le match est commenté par Roger Couderc – et me suis souvenu de mon grand-père regardant les matchs de catch à la télévision. Je crois que c’est la dernière fois aussi où j’ai entendu prononcer le terme manchette dans ce sens-là.

Vers seize ans, j’ai rencontré Nadine Cusset. Nadine Cusset aura été la dernière fille à rouler ses cigarettes avec une rouleuse à tabac bleue de la marque Rizla + (prononcer « Rila croix » comme le papier à rouler du même nom) dont je n’ai jamais réussi à me servir. L’utilisation en est pourtant très simple :
1. Ouvrez la rouleuse en positionnant le rouleau mobile vers le bas. Répartissez uniformément le tabac entre les rouleaux, puis refermez la rouleuse en repoussant le rouleau mobile vers le haut jusqu'à sa position de verrouillage.
2. Avec vos pouces, faites tourner le rouleau mobile de haut en bas.
3. Rouleuse toujours fermée, faites descendre la feuille en tournant le rouleau mobile de haut en bas afin de ne pas laisser dépasser que la partie gommée.
4. Humectez le bord gommé puis faites tourner à nouveau. Ouvrez la machine: votre cigarette est prête.

J’ai rencontré Nadine Cusset au lycée de Luzarches (ou de Chantilly ?). Sa liberté et ses mauvaises manières me fascinaient autant qu’elles ont scandalisé mes parents, la seule fois où je l’ai invitée chez nous. Il me semble qu’elle avait été émancipée par ses parents à sa demande. Nous n’avons jamais été amies et elle ne fit que passer. Je l’ai recherchée sur Internet mais en vain.


Beaucoup plus tard, j’ai rencontré Grille-d’Égout (surnommée ainsi à cause de l’espace entre ses dents – dents du bonheur ? et non en raison de paroles ordurières) qui est née bien avant moi (à Montrouge). Grille-d’Égout est moins connue que la Goulue, à laquelle elle a enseigné son art. Elle a dansé avec elle et Valentin-le-désossé au Moulin-Rouge (la quatrième du quadrille étant interchangeable). Grille-d’Égout aura été la dernière personne à enseigner le chahut à ses élèves – la danse s’appelant désormais cancan. De son vrai nom, Lucienne Beuze, elle aurait été institutrice avant de découvrir la danse « devant le buffet » et de devenir non seulement danseuse mais chorégraphe. Elle a enseigné le brisement debout et le brisement couché à Réjane.  Comme le journaliste Rochefort dont elle était la maîtresse, elle s’est proclamée antidreyfusarde, et Réjane l’a alors surnommée Melle Dégoût en lui faisant livrer un bouquet d’œillets. Jaunes. Des œillets jaunes, pour exprimer tout son dédain.