Réponse au cinquième cercle, le
07/08/04
Cher Al,
Vous voilà
de nouveau en colère. Soit. Je vous l’ai déjà dit, il est fréquent de fulminer
quand on veut cesser de fumer. Des rancoeurs fument encore dans les recoins du
cœur, bien difficile alors d’éteindre la dernière cigarette. Fulminez donc,
cher Al, les fulminations sont moins gênantes que les coups sur le voisin.
Lorsque vous aurez compris que ce n’est pas sur Langnon que vous vouliez
frapper, sans doute pourrez-vous envisager de fumer la dernière cigarette.
Et puis
vous me faites encore le coup du chantage. Quand cesserez-vous ces enfantillages ?
Admettons que je m’y laisse encore prendre. Soit. Je n’ai rien à perdre, si ce
n’est mon emploi. Je pourrais, le cas échéant, mijoter la rédaction d’une
méthode pour arrêter de jouer. Mais le pourrais-je ? Car il faut avoir le
goût du jeu pour correspondre avec vous, un expert en faux, à qui écrire ne
pourrait être rien d’autre qu’une vaste fourberie. Plus j’y pense et plus je me
dis que votre désir de cesser de fumer n’est qu’un prétexte. Traverser les
cercles. Progresser… Vers quoi ?
Cher expert
en faux, quels mensonges me racontez-vous ? Quelles vérités ?
Il est vrai « qu’expert en vrai » en écriture, ça
n’existe pas, l’écriture nous transforme tous en experts en faux, n’est-ce
pas ? Alors vogue la galère … Je
resterai votre lien à La Cigalère, je recevrai vos signaux de fumée et vous
chercherai tant bien que mal dans les nuages de la falsification.
Je crois
aussi, comme votre conférencière, que nos actes ont des conséquences sur les
autres. Je l’ai appris très tôt en travaillant à l’usine où un faux geste sur
la chaîne peut s’avérer désastreux.
Je crois
aussi que chercher la bienveillance est bénéfique à tous, qu’elle aide à tenir
le malheur éloigné grâce à une conscience éveillée. Si nous sommes responsables
des autres, ce n’est qu’en cela, qu’en cette recherche constante de cette
bienveillance envers nous-même et autrui. Nous ne saurions être responsables du
bonheur des autres. Chacun est responsable de soi, chacun doit chercher à
l’être.
J’admets
que je ne suis pas toujours claire lorsque j’essaie de vous parler de moi.
C’est là ma faille. C’est que, voyez-vous, je n’ai pas l’habitude. A force de
panser les autres je n’ai plus l’habitude de penser. Mais je crois surtout que
vous avez laissé votre colère vous masquer ma véritable faille de peur qu’elle
ne vous dévoile la vôtre. Que cache votre colère, Al ? Quelle autre
dépendance cache celle du tabac ?
La
dépendance au jeu n’est rien, Al. Ce qui est grave, est de ne plus savoir qui
on est à force de vouloir le bonheur des autres, de quelqu’un d’autre que soi …
Vous qui falsifiez, vous qui laissez cet autre vous habiter quand vous tuez,
avec qui, avec quoi, cherchez-vous à correspondre ? Qu’est-ce qui vous
correspond vraiment ?
On ne peut
faire le bonheur des autres, mais on peut éviter de faire leur malheur. Mon
langage de thérapeute vous agace ? Je n’ai que lui, Al. Et pour gérer mes
propres failles et pour vous encourager à faire face aux vôtres. Croyez-vous
vraiment que je vous serais d’une aide quelconque en vous parlant de mes amants ?
Et si je vous disais que je suis bien trop malade ou… bien trop vieille,
ou…bien trop bigote pour en avoir, ne seriez-vous pas terriblement déçu ?
Si je vous disais que je suis un homme, que je n’ai que des amantes … Ne
voyez-vous pas qu’il est préférable que vous puissiez continuer à fantasmer sur
ma personne. C’est à cela que servent les thérapeutes. Je ne veux pas inventer
d’histoires pour vous faire plaisir. La vôtre nous occupe assez. Je veux être
sincère avec vous, vous prouver que je ne veux que votre bien, si vous le
voulez aussi. Je suis une thérapeute, c’est mon métier.
Je suis aussi une femme avec son histoire, qui vous lit avec
son histoire, avec ses propres manques et qui se nourrit aussi de ce que vous
lui apportez.
Pour vous
donner une ambiance, Boris qui me regardait avec perplexité ces derniers temps,
me sourit alors que je vous écris. Mon plaisir à vous écrire doit se lire sur
mon visage.
Le mistral a du bon, il chasse les mauvais nuages, nettoie
l’air, mais ne le laissez pas vous éloigner de moi, vous perdre dans les
cercles de votre enfermement alors que vous pouvez rejoindre ceux du monde.
Ce que vous
gagnez quand vous êtes conscient de perdre chaque jour quelque chose ?
Une conscience approfondie.
Ce n’est pas rien.
Bien à vous
Béatrice
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