vendredi 4 août 2017

S'arrêter de fumer par correspondance / 11



Réponse au cinquième cercle, le 07/08/04




            Cher Al,


            Vous voilà de nouveau en colère. Soit. Je vous l’ai déjà dit, il est fréquent de fulminer quand on veut cesser de fumer. Des rancoeurs fument encore dans les recoins du cœur, bien difficile alors d’éteindre la dernière cigarette. Fulminez donc, cher Al, les fulminations sont moins gênantes que les coups sur le voisin. Lorsque vous aurez compris que ce n’est pas sur Langnon que vous vouliez frapper, sans doute pourrez-vous envisager de fumer la dernière cigarette.

            Et puis vous me faites encore le coup du chantage. Quand cesserez-vous ces enfantillages ? Admettons que je m’y laisse encore prendre. Soit. Je n’ai rien à perdre, si ce n’est mon emploi. Je pourrais, le cas échéant, mijoter la rédaction d’une méthode pour arrêter de jouer. Mais le pourrais-je ? Car il faut avoir le goût du jeu pour correspondre avec vous, un expert en faux, à qui écrire ne pourrait être rien d’autre qu’une vaste fourberie. Plus j’y pense et plus je me dis que votre désir de cesser de fumer n’est qu’un prétexte. Traverser les cercles. Progresser… Vers quoi ?

            Cher expert en faux, quels mensonges me racontez-vous ? Quelles vérités ?
Il est vrai « qu’expert en vrai » en écriture, ça n’existe pas, l’écriture nous transforme tous en experts en faux, n’est-ce pas ?  Alors vogue la galère … Je resterai votre lien à La Cigalère, je recevrai vos signaux de fumée et vous chercherai tant bien que mal dans les nuages de la falsification.

            Je crois aussi, comme votre conférencière, que nos actes ont des conséquences sur les autres. Je l’ai appris très tôt en travaillant à l’usine où un faux geste sur la chaîne peut s’avérer désastreux.

            Je crois aussi que chercher la bienveillance est bénéfique à tous, qu’elle aide à tenir le malheur éloigné grâce à une conscience éveillée. Si nous sommes responsables des autres, ce n’est qu’en cela, qu’en cette recherche constante de cette bienveillance envers nous-même et autrui. Nous ne saurions être responsables du bonheur des autres. Chacun est responsable de soi, chacun doit chercher à l’être.

            J’admets que je ne suis pas toujours claire lorsque j’essaie de vous parler de moi. C’est là ma faille. C’est que, voyez-vous, je n’ai pas l’habitude. A force de panser les autres je n’ai plus l’habitude de penser. Mais je crois surtout que vous avez laissé votre colère vous masquer ma véritable faille de peur qu’elle ne vous dévoile la vôtre. Que cache votre colère, Al ? Quelle autre dépendance cache celle du tabac ?

            La dépendance au jeu n’est rien, Al. Ce qui est grave, est de ne plus savoir qui on est à force de vouloir le bonheur des autres, de quelqu’un d’autre que soi … Vous qui falsifiez, vous qui laissez cet autre vous habiter quand vous tuez, avec qui, avec quoi, cherchez-vous à correspondre ? Qu’est-ce qui vous correspond vraiment ?
            On ne peut faire le bonheur des autres, mais on peut éviter de faire leur malheur. Mon langage de thérapeute vous agace ? Je n’ai que lui, Al. Et pour gérer mes propres failles et pour vous encourager à faire face aux vôtres. Croyez-vous vraiment que je vous serais d’une aide quelconque en vous parlant de mes amants ? Et si je vous disais que je suis bien trop malade ou… bien trop vieille, ou…bien trop bigote pour en avoir, ne seriez-vous pas terriblement déçu ? Si je vous disais que je suis un homme, que je n’ai que des amantes … Ne voyez-vous pas qu’il est préférable que vous puissiez continuer à fantasmer sur ma personne. C’est à cela que servent les thérapeutes. Je ne veux pas inventer d’histoires pour vous faire plaisir. La vôtre nous occupe assez. Je veux être sincère avec vous, vous prouver que je ne veux que votre bien, si vous le voulez aussi. Je suis une thérapeute, c’est mon métier.
Je suis aussi une femme avec son histoire, qui vous lit avec son histoire, avec ses propres manques et qui se nourrit aussi de ce que vous lui apportez.

            Pour vous donner une ambiance, Boris qui me regardait avec perplexité ces derniers temps, me sourit alors que je vous écris. Mon plaisir à vous écrire doit se lire sur mon visage.
Le mistral a du bon, il chasse les mauvais nuages, nettoie l’air, mais ne le laissez pas vous éloigner de moi, vous perdre dans les cercles de votre enfermement alors que vous pouvez rejoindre ceux du monde.

            Ce que vous gagnez quand vous êtes conscient de perdre chaque jour quelque chose ?
Une conscience approfondie.
Ce n’est pas rien.


            Bien à vous


Béatrice



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