mercredi 5 juillet 2017

S'arrêter de fumer par correspondance/1

Aujourd'hui, commence le feuilleton de l'été. Il s'agit d'un roman épistolaire à deux mains (celles de Béatrice et la mienne), rédigé il y a un peu plus de 13 ans et retravaillé cet été au fur et à mesure des publications, du moins pour ma partie.



Dans la forêt obscure, le 08/07/04.





            Madame, Monsieur,


            J’ai bien pris connaissance des conditions et modalités du contrat qui nous lie et les accepte sans rechigner d’autant que le dernier article stipule que je suis libre de rompre mon engagement à tout moment. J’ai bien noté que, le cas échéant, tous les versements effectués ne me seraient pas remboursés et que l’originalité du traitement consiste, outre une relation exclusivement épistolaire, en la quasi-absence de règles, exceptés l’anonymat réciproque et l’obligation d’indiquer le nombre de cigarettes en notre possession à la signature du contrat. Je viens de les recompter et vous confirme le chiffre indiqué sur le contrat ci-joint, à savoir 4 paquets de 25 cigarettes plus un paquet presque terminé dans lequel ne vont pas tarder à se consumer d’amour pour moi et sur mes lèvres charnues deux tendres cibiches (admirez) entre parenthèses le lyrisme effréné (sans guillemets et sans parenthèses) de votre correspondant, aussi ai-je choisi de signer tout simplement Dante. Serez-vous ma Béatrice ? Ou plutôt mon Virgile me guidant dans l’enfer que je m’apprête à traverser ?

            Tout ça m’a fatigué et je vais m’en griller une aussi sec comme dirait Jacquot. Vous pouvez d’ores et déjà considérer que j’en serai à quatre-vingt-dix-neuf avant de cacheter cette lettre avec mon premier chèque où j’ai comme qui dirait le sentiment de me faire avoir. « S’arrêter de fumer par correspondance » ne serait-ce pas une vaste fumisterie, sans vouloir faire de vilain jeu de mots ? De toute façon, c’est l’histoire de ma vie, ça. Si vous en éprouvez l’envie, je vous la raconterai : elle tient en deux ou trois cercles de fumée. Je peux déjà vous fredonner : Toute la sainte journée, elle me colle au bec… Sans elle, j’ai l’air d’un poussin cherchant son omelette…

            Donnez-moi vite un nom, une raison de continuer à vous écrire, qui êtes-vous belle inconnue ? (Vous- je m’adresse au lecteur fantôme de la société Cigalère qui prendra la décision de m’affecter un correspondant- vous, donc, avez deviné que je préférerais  si possible, écrire à une femme, cultivée et sensible.)

            J’ai déjà tenu presque une heure- le temps de rédiger cette lettre- sans en fumer une et ayant la liberté de fumer les cigarettes qu’il me reste, il me semble que le nombre inscrit sur le contrat va diminuer considérablement d’ici que vous receviez la lettre.

            Je vous envoie mes salutations intoxiquées en espérant bientôt vous lire et traverser avec vous l’Achéron pour rejoindre les Limbes de l’inconnu.

                                                                                                                     Al. Dante.




Texte: Christine Zottele
Image: Léo Perriguey





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