dimanche 30 juillet 2017

S'arrêter de fumer par correspondance / 9



Cinquième cercle, le 04/08/2004



Ces captifs du limon disent : « Tristes nous fûmes
Dans cet air doux qu’égayait le soleil,
Car nous portions en nous de moroses fumées


            Merde, qu’est-ce que vous foutez, Béatrice ?


            Embourbé dans le marais fangeux du Styx, j’essaie de sortir la tête pour prendre une goulée d’air et vous me laissez m’enfoncer dans ma bile noire. Vous ne me tendez pas la main, Béatrice, mais je ne devrais pas en être étonné. Rien de nouveau sous le soleil, encore moins à l’ombre.

            Ici aussi, la canicule échauffe les esprits et c’est même pire que dehors : on prend la mouche pour un rien, on se bat et on s’entretue. J’ai la haine pour Langnon (le détenu avec qui je cohabite) qui laisse traîner un peu partout ses fumantes nauséabondes  et qui laisse beugler sa télé toute la journée. Impossible de lui faire entendre raison. La conférencière serait bien surprise de savoir que pour revenir sur soi-même ici, il faut d’abord faire un détour par le mitard après avoir foncé dans le mur. Devinez... Un coup de boule et Langnon étendu sur le carreau à hurler à l’assassinat. Trois jours de cachot ! Au début, l’obscurité et le silence sont reposants mais on a vite fait le tour de soi quand on est une pauvre merde. On préfère s’éloigner de soi tellement ça pue. Alors, je pensais à vous, à votre lettre qui m’attendrait sûrement à la sortie. Et puis quand je réintègre ma cellule : rien!

            Mais qu’est-ce que vous branlez, à la fin ? C’est quoi, ce travail ? Ne me dites pas que vous êtes encore souffrante… ou pire, en vacances…

            Je vous écris de la bibliothèque (vous ai-je déjà dit qu’on m’avait octroyé la faveur d’y travailler ? Maintenant, on m’a laissé entendre qu’à la moindre incartade de ma part, je réintégrais l’atelier de fabrication des allumettes) où je trouve un peu de répit. Je feuillette des livres et m’offre le luxe de ne pas les lire entièrement. Je leur donne quelques pages pour me convaincre de les lire intégralement… grand luxe. A propos, savez-vous que le bouquin le plus demandé est une méthode pour en finir avec la cigarette ?

            Ici, ça coûte encore plus cher et celui qui ne reçoit pas de mandat de l’extérieur ne peut donc pas cantiner et continuer à alimenter son vice. Moi, j’ai un petit pécule bien géré qui continue à me faire bien vivre. Le bouquin ne fait que passer entre mes mains. Sitôt restitué, sitôt réemprunté. Il paraît que ça marche, mais je n’ai même pas envie de le parcourir car cela me priverait de ma correspondance avec vous… Enfin, quand je dis ça, il faudrait que vous me répondiez, d’abord. Me faire mijoter à petit feu, c’est ça votre méthode ?

            Bon, j’arrête pour aujourd’hui, car je sens la colère qui remonte, qui bouillonne et me submerge. Pas facile de traverser ce bourbier…



Texte: Christine Zottele
Image: Léo Perriguey


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