C’est
une période éprouvante pas seulement à cause de l’approche de Noël mais aussi des réunions de parents qui s’enchaînent.
Jeudi c’était celle des 6e3, l’une de mes classes préférées. Parmi
de nombreuses mères – seulement trois couples et une famille complète avec
petit dernier – quelques pères seuls… Ainsi, le père d’Anja et le père de
Nabil : deux pères aussi différents que marquants : l’un, pompier,
rédige dans une langue pompeuse les devoirs de sa fille mignonnette – qui
aimerait bien faire ses devoirs toute seule : me retrouve à corriger le
texte du père - vocabulaire mystico-fumeux (pompier pompeux fumeux il ne
manquerait plus qu’un regard de braise
pour le cliché fumeux… heureusement
yeux bleus) - au lieu de rendre un conte merveilleux me rend un texte misérabiliste (des enfants
qui reviennent dans une maison après incendie, enfants orphelins, séparés et
qui se retrouvent des années plus tard, sachant se reconnaissant frère/sœur)
pas la moyenne - pompier hors-sujet – le lui dis – argue pour l’autonomie de sa
fille, la laisser faire – ne pas trop en faire - est dans une bonne classe,
tête de classe qui tire vers le haut mais aussi esprit d’entraide – tête de
classe avec du coeur– il dit qu’il l’aide pour le vocabulaire puis le pompier
change de conversation – ses grandes filles (d’un premier mariage) n’ont jamais parlé du collège comme la benjamine–
qu’avec ses copines, la petite parle de la classe comme d’un lieu merveilleux -
endroit où règne l’harmonie – qu’il
aimerait bien y être lui aussi dans cette classe… Je souris. Pas si pompeux,
finalement. Mais Anja tristounette ce matin quand j’ai rendu l’expression
écrite.
Le
père de Nabih, le dernier dans le couloir à piétiner. Je l’aperçois avec son
fils agité, nerveux, silencieux. Inquiets, tous les deux. Pas de la même
manière. Je ne parle pas des difficultés de Nabih. Je dis juste au père que
c’est un gentil garçon, son fils, le sourire qui s’ouvre sur le visage de Nabih
me récompense et confirme mon entrée en matière (Nabih m’a parlé de coups de
ceinture qu’il avait reçus une fois, de son frère ou de son père ?). Le
père – corps lourd fatigué – la soixantaine ? accent prononcé – dit que
Nabih doit écouter le maître, fini les bêtises, pas s’occuper des autres, des
voyous, est au collège pour travailler ;
dit qu’il n’est jamais venu aussi souvent au collège que pour Nabih. Il
a déjà élevé neuf enfants. Commence l’histoire de cet homme cassé littéralement
par les travaux agricoles, en France depuis quarante ans, du Maroc, parle de
ses enfants, de ceux qui ont réussi. Fier de parler de la mémoire de l’un
d’entre eux, patron du garage XXX, tu connais ? au bout de la rue XXX, non
je ne connais pas, qui a appris pour le permis C, tout le livre, en une nuit,
lui, il y croyait pas, le fils disait tu verras
papa, et le lendemain il avait son examen. Mémoire prodigieuse,
maintenant est son propre patron. Il regarde Nabih que je n’ai jamais vu aussi
calme. Des difficultés, en français, il en a, c’est sûr, mais depuis quelque
temps, il fait d’énormes efforts, depuis qu’il est devant. Je ne mens pas, pour
les efforts de concentration, mais je ne dis pas que ce n’est pas tous les
jours. Le père opine. Il me semble surprendre une esquisse de sourire entre ces
deux là. Le père reprend l’histoire de ses enfants – de la mère il ne parle pas
– il parle d’une fille avec de la tête aussi, infirmière. Et puis le fils mort.
Celui qui s’est amusé avec un briquet et du White Spirit. Celui qui avait tout
pour réussir avant l’accident. Jouait dans l’équipe de foot de XXX, tu
connais ? Non, désolée. Doué en mécanique. Brûlé à 80% ; l’hôpital,
tous les jours. Il a tenu huit mois. Les médecins commençaient à y croire. Et
puis un jour, le fils a craqué, il en a eu marre. Pas certaine de bien
comprendre, me tais cependant. Silence de part et d’autre. Nabih ne sourit
plus. Plus de lumière dans les couloirs du collège. Nous devons être parmi les
derniers au collège. Les réunions de parents sont éprouvantes. Et de pères
éprouvés.
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